SNORRI STURLUSON

SNORRI STURLUSON
SNORRI STURLUSON

Depuis huit siècles qu’elle existe, la littérature islandaise n’a jamais compté d’écrivain comparable à Snorri, fils de Sturla de Hvammr. Mythologue, sagnamadr (compositeur de sagas), poète, pédagogue, historien hors pair, il domine de sa puissante stature non seulement ses compatriotes, mais, on peut oser le dire malgré l’ignorance où l’on reste de son œuvre en France, le XIIIe siècle européen. Intelligent et équilibré, il détonne sur son temps d’excès et de passions violentes, car il a la trempe d’un génie classique: le seul véritable classique, peut-être, que le Nord ait connu.

Un aventurier

La vie de Snorri Sturluson est déjà une subtile saga. Il descend par sa mère, Gudný Bödvarsdóttir, du grand scalde Egill Skallagrímsson; fils d’un arriviste célèbre, Sturla ordarson, établi dans l’ouest de l’île, à Hvammr, et lui-même rejeton d’un des prestigieux colonisateurs de l’île, Snorri le Godi (héros de l’Eyrbyggja Saga ), Snorri eut la chance d’être élevé par Jón Loftsson qui avait dans les veines du sang des rois de Norvège et entretenait, à Oddi, dans le sud de l’Islande, le centre intellectuel le plus vivant de l’époque. À vingt ans, il épouse la riche Herdís, de Borg, ancien fief du scalde Egill. Il s’installe ensuite à Reykjaholt (aujourd’hui Reykholt) où il aménage une résidence somptueuse.

L’homme est difficile à comprendre. Ambitieux et fluctuant, intelligent à l’excès mais paralysé par un redoutable sens critique, avare et frivole, capable de pingrerie sordide comme de générosité, à la fois loyal et inconstant, sa passion, avec la littérature, était la politique qu’il mena en manœuvrier retors. Il aurait aimé s’imposer comme le grand chef de son époque, mais n’y réussit pas. Ses menées tortueuses, qui le dressèrent par moments contre ses frères et ses gendres eux-mêmes, finirent par le desservir.

Il fut pourtant promu à la plus haute dignité du pays en devenant lögsögumadr (sorte de président du Parlement et de la Cour suprême) de 1214 à 1218, et de 1222 à 1226. En 1218, il entreprit un voyage en Norvège et en Suède: l’Islande était déchirée par les dissensions sanglantes qui opposaient les familles dominantes et le jeune roi norvégien Hákon Hákonarson, désireux d’exploiter ces divisions à son avantage, après avoir (peut-être) conféré à Snorri, en secret, le titre de jarl , essaya de l’utiliser comme agent. Snorri rentra en Islande en 1220, mais il travailla beaucoup plus à son propre avancement qu’à celui des visées royales. Cependant, une guerre civile l’accula à s’enfuir en Norvège (1237), où il retrouva bien son protecteur, le jarl Skúli, rival du roi Hákon, mais où il dut subir la mauvaise humeur de ce dernier qui lui interdit de rentrer dans son pays. Snorri passa superbement outre et réintégra sa patrie où l’attendaient les biens immenses qu’il devait à son savoir-faire et aussi, après la mort de Herdís, à son remariage avec la plus riche veuve du pays, Hallveig Ormsdóttir. Il n’en fallut pas davantage à Hákon pour faire lâchement exécuter Snorri, dans la cave de sa demeure.

Un maître écrivain

Dans l’état présent des connaissances, on est en mesure d’attribuer à Snorri la paternité de trois œuvres au moins: une des plus importantes sagas dites de famille, Egils Saga Skallagrímssonar (La Saga d’Egill, fils de Grímr le Chauve ), qui est l’un des chefs-d’œuvre du genre et dont le grand mérite est d’avoir rapporté la part la plus vaste de la production poétique du principal scalde islandais qui fut aussi un viking de premier ordre et un redoutable magicien; l’Edda en prose et la Heimskringla , toutes composées, vraisemblablement, entre 1222 et 1235.

L’Edda dite en prose (parce qu’elle fond en un tout d’innombrables citations de poèmes et un long commentaire en prose) a sûrement été rédigée pour éclairer l’Edda poétique, sans doute compilée vers la même époque par des inconnus et qui rassemble les grands poèmes gnomiques, mythologiques et héroïques de la tradition religieuse nordique. Snorri se donnait avant tout un but pédagogique: éclairer les vieux mythes menacés d’oubli ou d’incompréhension après deux siècles de christianisme; donner aux jeunes poètes les clefs de l’art difficile des scaldes, tant en ce qui concerne le choix du vocabulaire spécifique de cette poésie que sa métrique complexe. Il n’est pas exclu qu’en outre Snorri ait voulu rappeler son peuple aux anciennes traditions sacrées et faire pièce, ce faisant, aux ballades populaires et à la vague d’imitations d’œuvres européennes (hymnes d’église, poésie épique et courtoise) qui déferlait sur l’Islande via la Norvège ou la Grande-Bretagne. À cet effet, son Edda , écrite dans une langue simple au style clair et souple teinté d’un humour retenu, propose une initiation complète en trois parties équilibrées. La Gylfaginning (La Fascination de Gylfi ), composée sans doute en second lieu, est une commode affabulation, émaillée de citations poétiques, des grands événements suggérés de façon souvent obscure par les textes de l’Edda poétique; les poèmes eddiques ou scaldiques, les traditions religieuses et les superstitions populaires s’y trouvent mêlées, confrontées, illustrées les unes par les autres dans une perspective étonnamment rationaliste pour l’époque. L’instinct philologique très sûr éclate davantage dans la seconde partie, Skáldskaparmál (proprement: Poétique , composée ensuite), où l’auteur justifie l’emploi des termes conventionnels requis pour la composition de la poésie scaldique, les heiti (sortes de synonymes) et les kenningar (métaphores en chaîne ou périphrases) dont l’élaboration ne s’entend pas sans une science mythologique approfondie. Enfin, le Háttatal (Dénombrement des mètres , composé en premier lieu, vers 1222, et qui constitue aussi un poème à la louange du jarl Skúli) énumère les cent deux mètres possibles offerts à l’inspiration des scaldes, avec une strophe d’illustration pour chacun. Certaines sont peut-être de l’invention de Snorri lui-même. L’Edda en prose reste l’introduction la plus sûre à la connaissance des mythes eddiques et le guide obligé des études scaldiques.

Le sommet de cette production est toutefois la Heimskringla (Orbe du monde , d’après les deux premiers mots du livre, mais en vérité Nóregs Konunga Sögur ), recueil de seize sagas des rois de Norvège, depuis les origines mythiques (Ynglinga Saga ou Saga des Ynglingar), jusqu’à Magnús Erlingsson, dont l’essentiel est sûrement de Snorri. Le joyau en est la Óláfs saga hins helga (Saga de saint Olav ), évitant les outrances et les clichés de l’hagiographie contemporaine, Snorri s’attache à montrer en Olav, non le saint conventionnel, ni le héros de légende, ni le brigand sans scrupules, mais l’homme, avec tous ses défauts et qualités, devenant progressivement le grand roi et le saint que livre la tradition.

Il y a chez Snorri un écrivain de haut lignage, maître dans l’objectivité propre aux sagnamenn , amant du fait vérifiable, soucieux de citer ses sources et de confronter les témoignages invoqués, possédant naturellement, semble-t-il, le sens du dialogue, de l’incident dramatique et de la narration enlevée; son pragmatisme foncier s’attache à la recherche des causes et des conséquences d’un événement. Surtout, il y a cet esprit aristocratique féru de dignité et de mesure et nourri d’une philosophie critique surprenante (on a pu parler d’amoralisme rationaliste) qui l’incite à chercher toujours à voir les deux faces de la réalité qu’il présente, à proposer (dans la Ynglinga Saga ) une explication evhémériste des mythes du Nord.

Snorri Sturluson ou Snorre Sturlasson
(v. 1179 - 1241) poète islandais: Heimskringla (la Saga des rois de Norvège), l' Edda.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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